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Sécheresses et changement climatique : comment l’agriculture française va-t-elle pouvoir survivre ?

Dernière mise à jour : 2 juil. 2020


Le réchauffement climatique entraîne une forte augmentation du risque de sécheresse et met en péril de nombreuses exploitations agricoles. Il existe néanmoins des clés pour renforcer la résilience et permettre l'adaptation du secteur : l'ouverture des données, l'innovation technologique, l'assurance et la solidarité.


SOMMAIRE

  • Le secteur de l’élevage exsangue après une succession de sécheresses.

  • Une préoccupation constante pour le monde agricole, aggravée par le changement climatique.

  • Un risque majeur pour l’ensemble de la société.

  • L’ouverture des données permet d’améliorer la connaissance du risque et l’offre d’assurance.

  • Les satellites et les objets connectés permettent une meilleure prévention des risques et de nouvelles possibilités d’assurance.

  • La solidarité doit être renforcée face au changement climatique.

  • Références

  • Annexe 1 : Analyse de l'évolution du risque de sécheresse estivale dans le département de l'Allier

  • Annexe 2 : Analyse de l'évolution du risque de sécheresse estivale dans le département de la Corrèze


Le secteur de l’élevage exsangue après une succession de sécheresses


L’analyse de la productivité des prairies en France sur les cinq dernières années met en évidence la situation désastreuse dans laquelle se trouvent de nombreux éleveurs. Cela est possible grâce au système ISOP (Information et suivi objectif des prairies), qui combine analyse des données météorologiques et enquêtes terrain, fruit d’une collaboration entre Météo France et l’institut national de la recherche agronomique (INRA). Sur les 5 dernières années, la majeure partie du territoire français a été frappée plusieurs fois par une baisse importante de la production fourragère. Dans une large bande allant du sud-ouest au nord-est du pays, les éleveurs ont souffert de la sécheresse en 2015, en 2018 et en 2019. Au nord du massif central, et en particulier, dans le département de l’Allier, terre importante d’élevage, la situation est dramatique, avec cinq années consécutives de sécheresse. Dans le département de la Corrèze et dans plusieurs départements en Bourgogne, seule l’année 2017 a offert un bon niveau de production fourragère aux éleveurs.


Face à ces difficultés les éleveurs n’ont souvent pas d’autres choix que de vendre leurs bêtes et, sont de plus en plus nombreux à devoir déposer le bilan. Entre décembre 2016 et décembre 2019 le cheptel français a ainsi été amputé de 151 000 têtes (Delisle, 2020) et, sur la seule année 2019, la FNB déplore la disparition de 2 000 élevages (Darneuville, 2020).



La situation est d’autant plus alarmante que le secteur doit faire face actuellement à une pression à la baisse sur les prix (Manent, 2020) et que la menace d’une nouvelle sécheresse en 2020 reste forte. La carte publiée en mai par le gouvernement (Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, 2020) prévient d’un risque élevé pour de nombreux départements déjà touchés par la sécheresse en 2018 et en 2019, et en particulier pour le département de l’Allier.



Une préoccupation constante pour le monde agricole, aggravée par le changement climatique


Le risque de sécheresse ne concerne pas seulement les éleveurs. Il s’agit d’une préoccupation constante de l’ensemble du monde agricole. Et ce risque se trouve aggravé aujourd’hui par le changement climatique, son impact actuel et celui qu’il aura dans les prochaines années et décennies.


La sécheresse affecte notamment les exploitations en grandes cultures, surtout lorsqu’elles ne sont pas dotées de moyens d’irrigation. A la fin du printemps et au début de l’été, une situation de déficit hydrique aggrave le phénomène d’échaudage du blé et les pertes de rendement peuvent atteindre plus de 30% par rapport au potentiel. Les cultures de maïs et de pomme de terre sont régulièrement touchées par les sécheresses d’été. La culture de la betterave, comme ce fut le cas en 2019 est également sensible à la sécheresse d’été et du début de l’automne. Les exploitations dotées de système d’irrigation peuvent également souffrir de pertes de rendement lors de sécheresses extrêmes, notamment en cas d’arrêtés sécheresse très restrictifs. Quoique globalement moins vulnérables, les arboriculteurs et les viticulteurs peuvent également souffrir de la sécheresse notamment lorsqu’elle est aggravée par des températures extrêmes. L’été 2019 en fait la démonstration, avec de nombreuses parcelles de vignes et de vergers grillées. Il faut dire que lors de l’épisode caniculaire de fin juin 2019, certaines stations Météo France, actives depuis plus de 30 ans, et qui n’avaient jamais relevé de température supérieure à 40°C, ont enregistré des records à plus de 45°C. Dans plusieurs départements, même les producteurs de lavande, culture pourtant réputée peu gourmande en eau, ont souffert de la sécheresse.


Les chiffres de gestion de Groupama (Carpon, 2020), principal assureur agricole en France, avec plus de 50% de part de marché montrent une augmentation de la part des sinistres liés à la sécheresse dans les indemnisations d’assurances multirisque climatique. En 2019, sur le seul risque de sécheresse, Groupama a dépensé plus de 100 millions d’euros en frais d’expertise et en indemnisation des agriculteurs qui avaient souscrit une assurance multirisque climatique.


L’application ClimatHD de Météo France (METEO FRANCE, s.d.) est très utile pour analyser les tendances climatiques historiques et anticiper les évolutions futures du climat, à la fois au niveau national et au niveau régional. Elle montre que sur l’ensemble de l’année, le cumul des précipitations en France a légèrement augmenté sur la période 1959-2009, à l’exception du quart le plus au sud du pays. D’après Météo France, dans les scénarios du GIEC RCP 4.5 (stabilisation des émissions de gaz à effet de serre) et RCP 8.5 (absence de politique climatique, croissance des émissions) du GIEC, le cumul de précipitations évoluerait peu dans les prochaines décennies. Toutefois, la répartition des pluies au cours de l’année serait modifiée, avec plus de pluies l’hiver et moins de pluies l’été, surtout dans le scénario RCP8.5. Pour la température, l’outil de Météo France donne une tendance à la hausse très nette depuis le milieu du XXème siècle, avec une augmentation de 0.3°C de la température moyenne annuelle par décennie en France métropolitaine. En été, le phénomène est encore plus marqué avec une augmentation de 0.4°C par décennie. Les projections, selon le scénario le plus pessimiste du GIEC (RCP8.5), sont très inquiétantes, avec une accélération du réchauffement au cours des prochaines décennies et, à la fin du siècle, une température moyenne supérieure de 5°C à la référence 1976-2005. Dans le scénario le plus optimiste du GIEC (RCP 2.6), qui suppose le succès de politiques de réduction des émissions de CO2, l’augmentation des températures en France se poursuivrait jusqu’au milieu des années 2050, après quoi la température moyenne sur la France métropolitaine suivrait une légère tendance baissière jusqu’à la fin du siècle. Le réchauffement de la température moyenne en France resterait alors inférieur à 2°C par rapport à la référence 1976-2005.


L’analyse des données historiques produites par Météo France pour la station de Yzeure, située à proximité de Moulins dans l’Allier confirme et précise à l’échelle locale les informations de l’application ClimatHD. Sur la période allant de juillet à septembre, le cumul de précipitations semblait suivre jusqu’en 2009 une tendance haussière. Le net recul sur la période 2010-2019 et plus encore sur la période 2015-2019 conduit à redouter une inversion de tendance. D’ailleurs, sur la période entière étudiée, 1961-2019, la tendance linéaire est négative, à -4 mm tous les dix ans. Néanmoins, lorsque la dernière décennie n’est pas prise en compte, c’est-à-dire lorsque l’estimation est effectuée sur la période 1961-2009 uniquement, la tendance est positive, à +12 mm tous les dix ans. Le risque de déficit de précipitation entre juillet et septembre ne semble donc pas être durablement modifié, sa réalisation n’est pas certaine et le risque de déficit de précipitation reste donc assurable.


Mais le risque de sécheresse en agriculture ne dépend pas uniquement des précipitations. Il dépend également de la température puisqu’elle joue un rôle fondamental dans le processus d’évapotranspiration. Toutes choses égales par ailleurs, l’évapotranspiration, c’est-à-dire la quantité d’eau qui est transférée vers l’atmosphère, que ce soit par évaporation au niveau du sol ou par transpiration des plantes, sera plus importante lorsque la température est plus élevée. Or, pour la température, l’analyse des séries historiques ne laisse pas de place au doute quant aux tendances. Sur la période 1961-2019 la tendance linéaire est de +0.35°C par décennie. Lorsque la dernière décennie n’est pas prise en compte, c’est-à-dire sur la période 1961-2009, la tendance est de +0.27°C par décennie. Lorsque seules les trente dernières années sont prises en compte, c’est-à-dire sur la période 1990-2019, la tendance est de +0.42°C par décennie.